Catherine Bodmer

CATHERINE BODMER: Embruns

Extrait de texte publié dans l'opuscule d'exposition, articule 1998

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L’odeur me prends au nez. Je reconnais très bien ce parfum citronné qui réfère de façon abrupte à une foule de moments connus. Rien de concret n’émerge de la surface de ma mémoire, seulement un sentiment de déjà vu, vécu. Ça sent le propre et ça brûle les narines. Odeur contradictoire du vide aseptisé et de la disparition de la souillure.

Je respire toujours mais cette fois-ci, je tente de ralentir le rythme, d’utiliser ma bouche afin d’évacuer l’odeur qui s’annonce de plus en plus poignante et acide.

Par terre se couche la poudre odorante; le sol épouse les gouttelettes blanchâtres. On pourrait croire à un simple dégât. Quelques boîtes écrasées auraient laissé leurs restes.

Mais la masse s’anime drôlement. Tout en étant immobile, elle prend de l’expansion. Je contemple les embruns se former sur une mer en éveil; vue privilégiée de plongée sur un paysage de poussières animées.>

J’imagine mon corps qui s’y glisse, se laissant bercer par le va-et-vient continuel de cette mer de savon. J’entends déjà le bruit de la poudre qui s’écrase sous mon poids, libérant des effluves à peine dissipées.

Il y a de la poudre à lessive sur le sol.

Dispersés sur le mur, plusieurs petits rectangles se côtoient. Portraits minuscules qui demandent l’approche du corps et du regard. Je plisse les yeux. Je cherche le chemin à parcourir avant de m’engager dans l’espace. Je longe les murs, m’assurant de ne pas déranger l’organisation poudreuse qui embrasse le lieu.

Je me retrouve, les genoux pliés, à contempler des petits bout de rien du tout. Photographies d’objets intimes, de restes trouvés à même les filtres de sécheuse, centrés à plat sur l’image à la manière de pièces à conviction, de curiosités ou de reliques. Je les connais. Ils me connaissent. On se fréquente depuis toujours. Je veux les voir, tous. Je veux les reconnaître et les nommer. J’accélère de plus en plus en me disant que je pourrai revenir par la suite. Pour le moment, il me faut les approprier du regard.

Je cherche la structure narrative mais aucune narration se construit. Les images s’enfilent les unes après les autres. Seules et regroupées, éteintes et vivantes. Leurs couleurs me parlent, se parlent et se font écho. Je m’accroche à elles.

Tout cela m’apparaît familier. Ce ne sont pourtant pas mes petits morceaux d’intimité. Ils ont fait corps avec l’autre. Lequel? Comment cette multitude s’est-elle rendue jusqu’ici?

Je ne cherche plus d’histoires, je contemple une accumulation d’objets en marge, les à-côtés inventoriés de plusieurs autres.

Je glisse furtivement ma main dans la poche de mon pantalon, à la recherche d’une petite mousse, d’un bout de papier froissé ou d’une épingle à cheveux qui m’appartiendrait.